dimanche 29 avril 2018

Rendre plus flexibles et transférables des compétences spécifiques

En d’autres mots, il s’agit de rendre plus facilement transférables des compétences apprises initialement dans un contexte étroit et spécifique. Nous partons de l’idée qu’une compétence associe au départ un savoir et un savoir-faire spécifiques. 


(Photographie : Anna Collette)



Lorsque nous acquérons des connaissances, elles sont très difficilement transférables et complètement liées à un contexte. Nous parlons alors de connaissances inflexibles. L’enjeu de l’enseignement est de mettre en évidence le caractère plus général de ces connaissances, de manière à pouvoir les transférer dans des contextes proches.

Il s’agit pour cela de rendre progressivement flexibles, c’est-à-dire d’usage plus général, les connaissances inflexibles (actuellement d’utilisation spécifique). Néanmoins, l’étape inflexible est un passage obligé, le caractère flexible ne s’obtenant que par la suite, pour à terme aboutir à l’établissement d’une certaine maîtrise.



L'acquisition initiale de connaissances sous une forme inflexible


L'apprentissage par coeur est plus rare qu'il ne le semble.Une grande partie de ce qui est communément considéré comme un apprentissage par cœur ne l’est probablement pas mais cache une autre dimension. 

Dans la majorité des cas, les connaissances des élèves ne sont généralement pas totalement dénuées du sens recherché au point d’être correctement classées dans la catégorie du par cœur.

Une autre manière de percevoir le phénomène est qu'une mémorisation d'une définition, d'une règle, d'un terme, d'une procédure ou d'un principe, permet de créer un élément de connaissance inflexible. 

Le concept de connaissances inflexible peut apporter plus de sens à l’apprentissage que celui d’une simple étude par cœur. Toutefois à ce stade, pour l'élève comme pour l'enseignant qui la constate, cette connaissance inflexible n’est pas une prevue de performance et maîtrise complète telle qu'envisagée. Elle n’offre aucune garantie de capacité de transfert, c'est-à-dire de flexibilité.

Les sciences cognitives montrent que lorsque de nouvelles connaissances sont apprises initialement, l’esprit a tendance à se souvenir préférentiellement de leurs aspects concrets, contextuels et parfois  superficiels. La mémoire associée à des nouvelles connaissances est épisodique (liée à son contexte d'apprentissage) avant d'être sémantique (liée à son sens abstrait). Les connaissances sont d'abord liées au contexte de leur apprentissage (relatives à des exemples concrets et spécifiques), avant de devenir abstraites et profondes, c’est-à-dire mobilisables, dans de multiples contextes. 

Les connaissances appartiennent au départ à la mémoire épisodique mais nous voulons qu'elles appartiennent à la mémoire sémantique. L'élève l'apprend dans un contexte particulier mais nous voulons à terme qu'il soit capable de la mobiliser dans de multiples contextes.

Lorsqu’ils sont mémorisés, les savoirs et les savoir-faire restent des connaissances de surface qui ne s’appliquent que dans le contexte où ils ont été vus et étudiés, voire à des contextes très voisins. La difficulté liée à cette mémorisation initiale est qu’elle est difficile à appliquer à de nouvelles situations. C’est la raison pour laquelle nous parlons de connaissances inflexibles.

Si la connaissance inflexible peut déjà être significative, son sens est étroit car lié à la structure de surface du concept. La structure profonde du concept n’est pas facilement ni très directement accessible.

La structure profonde fait référence à un principe qui transcende un ensemble d'exemples spécifiques et variés.

La structure de surface fait référence aux particularités superficielles d’un exemple unique destiné à illustrer une structure profonde.

Ce passage par des connaissances inflexibles est une voie obligé et un fondement à considérer dans l’apprentissage des élèves. Elles sont l’élément indispensable qui permet dans un second temps la maîtrise des connaissances à un niveau plus profond et abstrait qui en permet la maitrise et le transfert dans une variété plus large de contextes.


Rôle des indices de récupération


La capacité à récupérer une information initialement mémorisée dépend fortement du contexte dans lequel l’apprentissage a eu lieu.

Nous relions ce que nous connaissons à des sujets, des moments, des lieux, des personnes et des sentiments en lien avec ceux-ci. Ces liens contextuels fournissent des indices qui nous aident à récupérer ce dont nous avons besoin quand nous en avons besoin.

Lorsque nous apprenons une information dans un contexte, nous encodons en même temps des indices environnementaux pour nous en souvenir.

Lorsque nous changeons le contexte, l’absence de ces indices peut nous empêcher de récupérer une information. Celle-ci aurait pu être facilement récupérable en présence de ces indices liés à son contexte d'apprentissage initial.


La mémorisation est au départ dépendante de son contexte


Le transfert d’un contexte à un autre est affecté par la variation du contexte de l’apprentissage original. Dès lors, les élèves peuvent apprendre dans tel ou tel contexte et se remémorer la connaissance, mais en être incapables d’autres par manque d’indices contextuels de récupération. 

C’est le fonctionnement propre de la mémoire qui fait que dans un premier temps les connaissances encodées ont une nature inflexible. L’enseignant doit agir pour atténuer ce paramètre et aider ses élèves à dépasser cette première étape en les amenant à mobiliser la connaissance dans une large variété de contextes différentes et authentiques.



Processus de formation des connaissances flexibles


La caractéristique qui nous préoccupe ici est la flexibilité. Le savoir est flexible lorsqu’il est accessible en dehors du contexte dans lequel il se trouvait, c’est-à-dire lorsqu’il peut être appliqué et transféré dans de nouveaux contextes.

L’utilité des connaissances inflexibles est limitée. Pour appliquer des connaissances au départ inflexibles à des situations inédites, il faut à la fois reconnaître que l’analogie est appropriée et réussir à faire correspondre le nouveau problème au problème familier. 

Cela doit passer par l’apprentissage de la structure profonde qui est nécessaire pour obtenir des connaissances flexibles.

La meilleure façon de donner de la flexibilité est d’accumuler un plus grand nombre de connaissances connexes, de faits, d’exemples et d’applications.

Sans l’acquisition de cette flexibilité impossible de concevoir des transferts, de réaliser des problèmes nouveaux en appliquant les connaissances existantes à de nouvelles situations.

La connaissance flexible est un objectif souhaitable, mais ce n’est pas un objectif facile à atteindre.



Acquérir directement des connaissances flexibles ?


Ne pourrions-nous pas contourner la tendance de l’esprit à stocker l’information en matière d’éléments de surface et amener les élèves à apprendre directement la structure profonde ?

Pour lutter contre les connaissances inflexibles, il semblerait que nous devrions encourager les élèves à penser les contenus d’apprentissage en termes plus profonds et plus abstraits, qui seront ensuite généralisés à d’autres contextes. C’est l’un des enjeux derrière les compétences du XXIe siècle aussi appelées soft skills.



Le problème avec un tel enseignement direct est que l’esprit préfère de loin que les nouvelles idées soient formulées en termes concrets plutôt qu’abstraits.

Lorsque nous leur présentons une nouvelle idée ou formule abstraite, les élèves réclament des exemples. Nous ne pouvons pas faire l’impasse sur l’inflexibilité, c’est un passage obligé.

Les connaissances ont tendance à être inflexibles lorsqu’elles sont acquises pour la première fois. Au fur et à mesure que les élèves continuent à travailler ces connaissances dans des contextes de plus en plus variés, ils vont gagner en maîtrise. Peu à peu, la connaissance n’est plus organisée autour de formes de surface, mais plutôt autour d’une structure profonde, plus abstraite et générale.

Maîtriser une habilité demande du temps. Cela exige de nombreuses occasions de pratique espacées. Plus un individu s’améliore dans la maîtrise d’une habileté, plus ses progrès vont devenir lents et difficiles, en dépit de nombreuses séances d’entrainement distribuées dans le temps. Il y a un plafonnement. Parallèlement, il a développé une fluidité et de bonnes performances dans l’usage de cette compétence.

Comprendre la structure profonde d’un vaste domaine en définit l’expertise. Dès lors, il est probablement trop exigeant de penser que les élèves devraient immédiatement saisir la structure profonde sous ce que nous leur enseignons. Acquérir une capacité de transfert est toujours un objectif à long terme difficilement évaluable dans l’immédiat.



Implications pratiques pour l’enseignement


1. Donner de l’importance aux exemples 
  • Le fait que les élèves semblent rester bloqués sur les exemples ne signifie pas que les enseignants doivent s’abstenir de donner des exemples. 
  • En fournissant de multiples exemples, nous encourageons les élèves à comparer les exemples et à considérer ce qu’ils ont en commun. 
  • Ce processus permet de faire émerger plus vite cette abstraction commune qu’ils partagent et qui est, bien sûr, leur structure profonde que nous souhaitons que les élèves apprennent.


2. Distinguer entre par cœur et connaissances inflexibles
  • Connaître mécaniquement par cœur n’a que peu de sens, car ces connaissances ne sont pas utilisables. La connaissance inflexible est par contre une conséquence naturelle de l’apprentissage.
  • Nous visons à faire prendre conscience aux élèves de l’importance de cette distinction et de la nécessité de comprendre en étudiant. 
  • Dès lors, nous ne devons pas renoncer en cas d’impression de par cœur, lorsqu’elles se manifestent. Les connaissances factuelles sont indispensables, mais l’accent doit être mis auprès de ces élèves sur la compréhension et son amélioration. L’enseignant peut faciliter son acquisition.


3. Renforcer l’acquisition croissante de connaissances par les élèves, même si elles sont inflexibles
  • Nous soutenons la construction d’une base de connaissances factuelles chez nos élèves. 
  • Certains éléments de connaissance finissent malheureusement dans la mémoire sans aucune signification et sont rapidement perdus, et d’autres ont des significations qui sont assez inflexibles. 
  • Ce constat ne signifie pas que les enseignants doivent minimiser l’enseignement des faits dans le programme d’études. 
  • Connaître un plus grand nombre de faits permet aux élèves de comprendre des phénomènes plus complexes et de résoudre des problèmes. Le par cœur et un risque à prendre, la savoir inflexible rendu le plus flexible possible est notre objectif.

4. Accepter la flexibilité comme un idéal à atteindre et l’étape de l’inflexibilité comme un passage obligé
  • La connaissance inflexible est une étape naturelle sur la voie de la connaissance plus profonde, elle est accessible à tous et est avant tout une question d’engagement dans l’effort. Nous devons le reconnaître et lui donner de l’importance. 
  • Par conséquent, nous ne devons pas tout miser sur l’évaluation de connaissances inflexibles —, sur le transfert —, car elles sont délicates à installer et prennent du temps. 
  • Nous évitons de créer des frustrations chez les élèves à propos de dimensions dont ils n’ont qu’un contrôle réduit. Des élèves peuvent peiner dans l’acquisition de la flexibilité des connaissances, mais celle-ci ne sera rendue possible que si ces connaissances sont déjà inflexibles. 

La conclusion générale est que nous devons nous assurer que nos élèves acquièrent ces connaissances inflexibles. C’est à nous ensuite de proposer des activités (plus d’exemples, plus de connaissances, plus de pratique) qui favorisent leur transfert sous une forme flexible.



Transfert et enseignement explicite


Devant des élèves manifestant un savoir inflexible, l’enseignant peut être certain que des apprentissages significatifs ont réellement eu lieu et peuvent être approfondis. Nous pouvons aller plus loin avec nos élèves. Nous diversifions et approfondissons leur compréhension par l’ajout d’exemples appropriés et d’activités variées et par un questionnement élaboratif qui empêchent aux élèves de fonctionner simplement en pilotage automatique et s’appuyant sur leurs automatismes.

C’est à travers l’étape du modelage que la diversification des exemples prend tout son sens dans l’apprentissage et l’exploration des nouveaux savoirs (voir point ci-dessus : implications pratiques pour l’enseignant).

Lors de la pratique guidée et de la pratique autonome, les contextes sont peu à peu étendus et la capacité de discrimination qui traduit une flexibilité croissante des connaissances en est un enjeu principal à côté de l’automatisation. De même, une phase de découverte guidée ultérieure peut développer le processus encore un peu plus loin.




Mis à jour le 06/12/21

Bibliographie


Willingham, Daniel T. Ask the Cognitive Scientist. Inflexible Knowledge: The First Step to Expertise. American Educator, v26 n4 p31-33 Win (2002)

David Didau, The trouble with transfer: How can we make learning more flexible?, 2016, https://learningspy.co.uk/learning/trouble-transfer-can-make-learning-flexible/

Gauthier, C., Bissonnette, S., & Richard, M. (2013). Enseignement explicite et réussite des élèves. La gestion des apprentissages. Bruxelles : De Boeck.

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